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Tag - Timothy Taylor

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mercredi 17 décembre 2014

Comment l’Allemagne a-t-elle su limiter la hausse du chômage durant la Grande Récession ?

« Voici une énigme : durant la Grande Récession, la contraction de la production économique fut plus ample en Allemagne qu’aux Etats-Unis, mais la hausse du taux de chômage fut bien plus élevée aux Etats-Unis qu’en Allemagne. Qu’est-ce que l’Allemagne a-t-elle pu faire ? Shigeru Fujita et Hermann Gartner se penchent sur cette question dans leur article "A Closer Look at the German Labor Market Miracle" publié dans le dernier numéro de la Business Review de la Réserve fédérale de Philadelphie (quatrième trimestre 2014, pages 16-24).

GRAPHIQUE Taux de chômage (en %)

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Commençons par présenter clairement l’énigme. Le premier graphique montre les variations des taux de chômage pour les Etats-Unis et l’Allemagne durant la récession. Le deuxième graphique montre la chute de la production réelle dans chaque économie.

PIB réel (en indices base 100 quatrième trimestre 2007)

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Les auteurs considèrent deux explications alternatives pour cette énigme et, du moins du point de vue américain, elles s’inscrivent aux extrêmes du spectre politique. Un premier ensemble possible d’explications est que le chômage allemand est resté relativement faible en raison des programmes publics, comme le programme de travail à temps partiel qui aida les entreprises à réduire le nombre d’heures sans licencier une partie de leur personnel. Le deuxième ensemble d’explications est que le chômage allemand est resté relativement faible en raison des réformes du marché du travail réalisées un peu plus tôt dans la décennie qui réduisirent les allocations chômage et qui continrent et flexibilisèrent les salaires et allocations, ce qui encouragea la création d’emplois. Fujita et Gartner affirment que le second ensemble d’explications est plus probable que le premier.

L’Allemagne a en effet plusieurs programmes publics qui encouragent les entreprises à réduire le nombre d’heures travaillées lorsque l’activité s’essouffle, plutôt que d’embaucher. Mais Fujita et Gartner affirment que ces programmes existèrent au cours des précédentes récessions et ils ne semblent pas avoir eu un impact particulièrement large au cours de la dernière récession. Ils écrivent :

"L’un est le programme de chômage partiel. Lorsque les heures travaillées sont réduites, l’entreprise verse des salaires seulement pour les heures travailleurs, tandis que le gouvernement verse aux travailleurs une allocation de courte durée qui compense 60 à 67 du salaire perdu. De plus, les cotisations sociales de l’entreprise versées pour les salariés concernés par le programme sont réduites. En général, une entreprise peut utiliser ce programme pour au maximum six mois. Au début de l’année 2009, cependant, quand le ralentissement de l’économie est devenu apparent, le gouvernement allemand encouragea l’usage du programme en étendant la période maximale d’éligibilité, tout d’abord à 18 mois, puis à 24 mois et en réduisant davantage le taux de cotisation sociale. Les exigences en termes d’éligibilité furent également assouplies."

"Une chose importante à rappeler ici est que ces mesures avaient déjà été appliquées au cours des précédentes récessions, si bien qu’elles ne furent pas si spéciales que ça après tout. Certes la part des travailleurs concernés par le programme augmenta fortement en 2009 et donc cela a certainement aidé à réduire l’impact de la Grande Récession sur le chômage allemand. Mais une chose plus importante à observer est que, même à son pic durant la Grande Récession, la participation au programme ne fut pas extraordinaire par rapport aux niveaux qu’elle avait atteint lors des précédentes récessions. De plus, au cours des précédentes récessions, le marché du travail allemand avait réagi de la même manière que le marché du travail américain."

"Un autre programme allemand que certains considèrent avoir contribué à réduire le chômage de masse est le compte épargne temps, qui permet aux employeurs d’accroître les heures de travail au-delà de la semaine de travail standard sans payer immédiatement les heures supplémentaires. En fait, ces heures supplémentaires sont enregistrées dans le compte épargne temps comme un excédent. Lorsque les employeurs ont besoin de réduire les heures de leurs salariées, elles peuvent le faire sans réduire le salaire en piochant dans le compte excédentaire. Les entreprises allemandes sont entrées dans la récession avec des comptes excédentaires. Donc, (…) ce programme réduisit certainement les besoins de licenciements. Cependant, moins de la moitié des travailleurs allemands disposaient d’un tel compte et la plupart des comptes épargne temps doivent être remboursés assez rapidement – habituellement dans l’année, voire moins. Selon Michael Burda et Jennifer Hunt, le programme de compte épargne temps réduisit le nombre d’heures par travailleur de 0,5 % en 2008-2009, expliquant ainsi 17 % du déclin total du nombre d’heures par travailleur observé au cours de cette période."

Pour mieux saisir l’explication alternative, considérons ce graphique montrant le taux de chômage allemand au cours des dernières décennies. Notons que juste après 2003, l’emploi allemand commença à s’élever régulièrement et cette tendance n’a seulement connu une pause que durant la Grande Récession.

Niveau d’emploi (en indices base 100 année 1991)

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Qu’est-ce qui permit à l’emploi allemand d’augmenter à partir de 2003 ?

"Nous affirmons que la tendance à la hausse s’explique par les politiques menées sur le marché du travail appelées réformes Hartz et qui furent mises en œuvre entre 2003 et 2005… Les réformes Hartz sont considérées comme certaines des plus importantes réformes sociales dans l’Allemagne moderne. Le plus important changement a concerné le système d’allocation chômage. Avant les réformes, lorsque les salariés perdaient leur emploi, ils avaient le droit de recevoir des allocations représentant 60 à 67 % de leur ancien salaire pendant 12 à 32 mois, en fonction de leur âge. Lorsque ces allocations prenaient fin, les chômeurs avaient droit de recevoir 53 % à 57 % de leur ancien salaire pour une durée illimitée. A partir de 2005, la période fut réduite à 12 mois (ou 18 mois pour ceux ayant plus de 54 ans), période après laquelle les bénéficiaires pouvaient recevoir seulement des revenus de subsistance qui dépendent des actifs qu’ils possèdent et de leurs autres sources de revenu. De plus, les chômeurs qui refusaient des offres d’emplois raisonnables subissaient des sanctions plus grandes et plus fréquentes, telles que des réductions d’allocations. Pour davantage réduire les coûts du travail et stimuler la création d’emplois, la taille des entreprises dont les salariés étaient couverts par une assurance chômage fut élevée de 5 à 10 travailleurs. De plus, la réglementation des contrats de travail temporaires fut assouplie. De plus, à partir de 2004, l’Agence générale pour l’emploi allemande et les agents locales pour l’emploi furent réorganisées de manière à mettre davantage l’accent sur le retour des chômeurs au travail et, par exemple, en externalisant les services de placement au secteur privé."

Mon billet du 14 février 2014 (…) développait l'idée que la flexibilité des salaires et des institutions du marché du travail allemands à partir du milieu des années quatre-vingt-dix commença la hausse de l’emploi allemand. Dans cette histoire, les réformes Hartz ont moins d’importance, mais la focale de l’histoire est toujours placée sur la plus grande flexibilité des marchés, non sur les programmes publics pour partager les heures. Fujita et Gartner avance la même idée : "en d’autres termes, au cours du boom menant à la Grande Récession, la croissance des salaires fut plus contenue qu’au cours des précédents booms et donc cette modération salariale fut un important facteur pour stimuler l’emploi."

Enfin, Fujita et Gartner soulignent qu’il est difficile de comparer les Etats-Unis avec l’Allemagne, parce que les causes sous-jacentes des récessions furent différentes. L’Allemagne n’avait pas de bulle immobilière ; en fait, elle a bénéficié un essor des exportations. (…) Ils écrivent :

"La récession en Allemagne n’a pas été provoquée par le même choc que celui qui amorça la récession aux Etats-Unis. L’économie américaine subit un déclin de la demande domestique comme la chute des prix d’actifs domestiques réduisit la richesse nette des ménages, alors que l’Allemagne n’avait pas connu de bulle immobilière. En fait, le déclin de la production allemande s’explique par la contraction à court terme des échanges mondiaux. La durée attendue d’une récession est un facteur important dans les décisions d’embauches et de licenciements des entreprises. Si une entreprise s’attend à ce qu’un ralentissement dure seulement une courte période, elle peut choisir de ne pas réduire sa main-d’œuvre, même si elle fait face à une plus faible demande, en particulier si licencier et embaucher des travailleurs est coûteux, comme ça l’est justement en Allemagne. Chose cohérente avec cette possibilité, Burda et Hunt remarquent que les entreprises allemandes furent réticents à licencier leurs travailleurs en raison de la difficulté à trouver des personnes aussi qualifiées pour les remplacer, surtout en 2009."

Bien sûr, l’idée selon laquelle le chômage allemand n’a pas beaucoup augmenté en raison des réductions des allocations chômage, de la faible croissance des salaires et de la flexibilité des marchés du travail ne prouve pas que les innovations allemandes comme les allocations de courte durée ou les comptes épargne-temps soient une mauvaise idée. Elles peuvent toujours un peu aider. Mais il ne semble pas qu’elles soient la principale explication du succès de l’Allemagne en termes de chômage pendant et après la récession. »

Timothy Taylor, « How did Germany limit unemployment in the recession? », in Conversable Economist (blog), 4 décembre 2014. Traduit par Martin Anota

mardi 9 décembre 2014

La stagnation séculaire et le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler

« La "population en âge de travailler" est souvent définie comme regroupant ceux ayant entre 15 et 64 ans. Pour plusieurs pays émergents et avancés, la croissance de la taille de la population en âge de travailler a ralenti, voire est devenue négative. En effet, au Japon, la population en âge de travailler commença à se contracter au début des années quatre-vingt-dix ; la taille la population en âge de travailler en Union européenne (sauf au Royaume-Uni) commença à se contracter en 2010 ; et la population en âge de travailler en Chine (après plusieurs décennies de politique de l’enfant unique) devrait commencer à se contracter au cours des prochaines années. Pour la plupart des pays à haut revenu, la part de la population en âge de travailler décline.

Un déclin de la taille ou de la part de la population en âge de travailler est inquiétant pour plusieurs raisons. Dans les dernières décennies, on a surtout craint qu’il serait de plus en plus difficile de financer la retraite et la santé d’une population de plus en plus âgée. Plus récemment, on a craint que le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler puisse aussi ralentir la croissance économique. Cet argument était central dans le raisonnement d’Alvin Hansen dans son discours de 1938 lorsqu’il se demanda si l’économie américaine était entrée dans une phase de "stagnation séculaire", c’est-à-dire de ralentissement permanent de la croissance économique.

Par exemple, Hanson a dit "(…) que les éléments essentiels au progrès économique sont (a) les inventions, (b) la découverte et le développement de nouveaux territoires et de nouvelles ressources et (c) la croissance de la population. Ces éléments, séparément ou de façon combinée, ont créé des débouchés d’investissement et entraîné une croissance rapide de la formation du capital". Hansen nota ensuite que la croissance démographique a ralenti et que le territoire américain ne s’étendait plus. Il affirma alors que "nous sommes en train de basculer rapidement dans un monde dans lequel nous devons davantage nous appuyer sur le progrès technique que par le passé si nous voulons créer suffisamment d’opportunités d’investissement privé pour assurer le plein emploi… Je suis de plus en plus convaincu que l’échec de la récente reprise à ramener l’économie au plein emploi s’explique par le déclin de la croissance démographique, couplé à l’échec des innovations à créer suffisamment de débouchés pour le capital".

Pour avoir une idée du ralentissement du taux de croissance de la population en âge de travailler à l’œuvre depuis 1970 et dans les décennies suivantes, voici un graphique (…) de The Economist. Puisqu’elle se caractérise par un taux de natalité relativement élevé et des niveaux relativement élevés d’immigration, l’économie américaine devrait certes connaître un ralentissement de la croissance de sa population en âge de travailler, mais celle-ci ne devrait pas décliner.

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Voici un graphique de (…) The Economist montrant la part de la population en âge de travailler. Notons que pour l’Allemagne et le Japon, la part de la population ayant entre 15 et 64 ans a atteint son pic il y a un peu plus de deux décennies. Pour les Etats-Unis, le pic dans la population en âge de travail date d’il y a seulement deux ans. On s’attend à ce que tous les pays à haut revenu indiqués sur le graphique connaissent un brutal déclin de la part de la population en âge de travail au cours des prochaines décennies, bien qu’elle devrait rester la plus large aux Etats-Unis.

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Pourquoi une population en âge de travail mène-t-elle à un ralentissement de la croissance économique ? Une raison est juste mécanique : en l’occurrence, toutes choses égales par ailleurs, une hausse de 1 % du nombre de travailleurs va environ ajouter environ 1 % au PIB. Mais cela signifie seulement que nous devons nous focaliser sur la croissance du PIB par habitant ou par travailleur, donc nous ajuster au moindre taux de croissance.

Il y a potentiellement deux autres raisons de s’inquiéter. Premièrement, lorsque la population en âge de travail croît, les entreprises sont contraintes d’accroître leurs dépenses d’investissement, juste pour maintenir le ratio capital sur travailleur. Réciproquement, un ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler réduire les incitations à investir. Deuxièmement, si la population en âge de travail croît plus lentement ou décroît et si elle doit supporter un plus haut fardeau fiscal pour soutenir la proportion croissante de personnes âgées, alors les personnes en âge de travailler peuvent alors être moins incitées à travailler, ce qui freine la croissance économique.

Quelles sont les principales implications d’un ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler ou bien tout simplement de sa contraction ? Les niveaux d’investissement aux Etats-Unis ont en été bien plus faibles qu’on ne l’attendait ces dernières raisons, dans la mesure où la Grande Récession s’est officiellement achevée au milieu de l’année 2009. En replongeant dans le discours prononcé en 1938 par Alvin Hansen, on peut imaginer trois possibilités pour minimiser le risque de stagnation séculaire.

Premièrement, on peut essayer d’éviter le déclin de la population. Les politiques familiales adoptées par les gouvernements n’ont pas réussi à contenir la baisse des taux de natalité parmi les pays avancés. Mais il y a d’autres possibilités. Les Etats-Unis ont une frontière relativement ouverte à l’immigration légale, sans mentionner l’immigration illégale, ce qui accroit la population en âge de travailler. En outre, on peut aussi imaginer d’étendre la catégorie des « personnes en âge de travailler » de manière à inclure les travailleurs ayant entre 65 et 75 ans. Plusieurs mesures peuvent être adoptées pour inciter une plus large part de ces travailleurs à rester dans la vie active, du moins en temps partiel.

Deuxièmement, Hansen parla de "la découverte et du développement de nouveaux territoires et de nouvelles ressources". Il semble peu plausible de découvrir de nouveau territoires, mais il est toujours possible de stimuler les échanges en faisant davantage participer chaque économie au commerce mondial. En outre, l’économie américaine est capable d’étendre considérablement ses ressources énergétiques. (…)

Finalement, Hansen a mentionné le potentiel des nouvelles technologies pour créer de nouvelles opportunités d’investissement dans le capital physique, si bien que les nouvelles technologies peuvent stimuler la productivité et un essor des dépenses d’investissement peuvent aussi stimuler la demande globale. Les politiques que l’on peut ici adopter comprennent l’investissement public et privé dans les infrastructures, ainsi qu’un doublement voire un triplement des dépenses de recherche-développement.

Lorsque la population en âge de travailler croît, la croissance économique s’en trouve très souvent stimulée. Avec le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler, il devient impérieux de s’appuyer sur d’autres moteurs pour stimuler l’économie et encourager la croissance. »

Timothy Taylor, « Lower working age population and secular stagnation », in Conversable Economist (blog), 28 novembre 2014. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Comment le vieillissement démographique influe-t-il sur la croissance économique ? »

« Larry Summers et la stagnation séculaire »

« Les pays avancés font-ils face à une stagnation séculaire ? »

« La grande stagnation »

lundi 14 juillet 2014

Les évolutions dans la répartition du patrimoine aux Etats-Unis

« La répartition du patrimoine n’est pas la même chose que répartition du revenu : le patrimoine désigne l’accumulation d’actifs au cours du temps, tandis que le revenu désigne ce qu’un ménage reçoit au cours d’une année. Personne ne s’attend à ce que tout le monde ait le même patrimoine, ne serait-ce parce qu’il est logique que les personnes âgées de 55 ou 60 ans aient accumulé plus d’actifs que celles âgées de 25 ou 30 ans. Mais cela dit, lorsque la répartition globale du patrimoine change au cours du temps, il est légitime de s’interroger.

Fabian Pfeffer, Sheldon Danziger et Robert Schoeni passent en revue les preuves empiriques dans "Wealth levels, wealth inequality, and the Great Recession", un résumé paru en juin 2014 de l’étude qu’ils avaient précédemment publié dans la revue The Annals of the American Academy of Political and Social Science en novembre 2013 (…).

Beaucoup de cette étude repose sur la Panel Study of Income Dynamics, un fascinant ensemble de données qui débuta avec un échantillon nationalement représentatif de 18000 personnes réparties en 5000 familles en 1968 et qui suit depuis lors ce groupe de ménages, ainsi que leurs enfants et petits-enfants au fil des mariages et remariages. L’étude couvre maintenant quelques 9000 familles et 22000 individus. (…) La PSID suit les ménages au cours du temps.

Variation en volume du patrimoine pour divers centiles (en %)

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source : Pfeffer et ses coauteurs (2014)

Voici les évolutions qu’a connues le patrimoine ces dernières décennies telles que le suggèrent les données du PSID. Les données sont présentées en centiles. Ainsi le 95ième centile de la répartition du patrimoine vit son patrimoine s’accroître de plus de 100 % en termes réels entre 1984 et 2007, avant de chuter lors de la Grande Récession. Le ménage médian (le 50ième centile) vit son patrimoine grimper de presque 50 % entre 1984 et 2007, mais avec le déclin du patrimoine que l’on a pu ensuite observer le ménage médian a moins de patrimoine aujourd’hui qu’en 1984. Le 25ième centile n’a pas beaucoup de patrimoine et connut peu de changement de son patrimoine entre 1984 et 2005, mais il le vit ensuite chuter avec la Grande Récession. Cette dynamique présente clairement une plus grande dispersion de richesse au cours du temps. (…)

A court terme, en l’espace de quelques années, par exemple sur la courte période de temps qui s’est écoulée depuis la grande Récession jusqu’à aujourd’hui, la répartition du patrimoine évolue essentiellement en fonction de la valeur des actifs que possèdent les gens, en particulier en fonction des prix immobiliers et des prix des actifs financiers. Aucun des groupes de revenu n’a connu une reprise depuis que la Grande Récession a détérioré leur patrimoine. Mais ceux à plus haut patrimoine avaient déjà une sacrée avance, alors que ceux qui ne possèdent presque aucun patrimoine étaient bien loin derrière. »

Timothy Taylor, « The shifting U.S. wealth distribution », in Conversable Economist (blog), 9 juillet 2014. Traduit par Martin Anota

jeudi 19 juin 2014

Le commerce des services commence à fleurir

« Au moins depuis les écrits de David Ricardo au début du dix-neuvième siècle, les économistes ont prodigué leurs petites leçons sur les possibles avantages économiques du commerce avec des exemples qui mettent en scène des marchandises. Le célèbre exemple que Ricardo fournit pour expliquer l'avantage comparatif met en scène la production de vin et de tissu. Des générations entières de manuels ont parlé du pétrole et du blé, des voitures et des ordinateurs, et de bien d'autres paires de marchandises. Mais l’idée d’un commerce international dominé par les seules marchandises physiques s'érode. Prakash Loungani et Saurabh Mishra présentent certaines des récentes tendances dans leur article " Où est passé le secteur des services de papa ?" publié dans le numéro de juin 2014 de la revue Finances & Développement du FMI.

(…) La révolution des technologies d’information et de communication a brisé les anciens liens géographiques, où un service était nécessairement consommé là où il était produit. Maintenant, de nombreux services sont réalisés dans un endroit et consommés ailleurs. Loungani et Mishra écrivent que "grâce aux réseaux de télécommunications, des services peuvent être transportés presque instantanément sur de longues distances. L’éventail des activités qui peuvent être numérisées et mondialisées s’élargit, depuis le traitement des sinistres d’assurance et des paiements d’impôts jusqu’à la transcription des dossiers médicaux et au téléenseignement. (…) Le schéma consistant à implanter les activités à forte valeur ajoutée dans les pays avancés et à reléguer les autres dans les pays en développement commence à changer. Les entreprises, surtout dans les pays émergents parvenus à maturité, commencent à rattraper celles des pays avancés pour certaines activités à forte valeur ajoutée, tandis que les entreprises des pays avancés détachent les éléments plus standardisés de leurs activités à haute valeur ajoutée pour les implanter dans les pays émergents. En attestent la prolifération des bureaux spécialisés dans les conseils aux entreprises et le traitement des connaissances ainsi que l’explosion du commerce électronique et de la vente en ligne dans les pays émergents du Moyen-Orient, au Brésil, en Chine, en Inde et à Singapour. (…) Des pays comme la Malaisie pourraient profiter de la mondialisation des services pour échapper au piège potentiel du revenu intermédiaire. L’aspect positif est que l’expansion du secteur des services — et des exportations de services — dans les pays en développement a dépassé l’exemple souvent cité de la croissance des technologies de l’information en Inde. Pensez à la révolution du téléphone portable qui a transformé les services financiers dans beaucoup de pays africains, à l’industrie cinématographique au Nigéria, à la conception de jeux vidéo au Cambodge, aux services comptables à Sri Lanka et aux entreprises de traitement des ressources humaines à Abu Dhabi."

Au cours de la dernière décennie, les échanges de services ont connu une croissance presque trois fois plus rapide que les échanges des marchandises. "Il est certes difficile de mesurer les échanges de services, mais la part des pays en développement dans les exportations mondiales de services est apparemment passée d’environ 14 % en 1990 à 25 % en 2011 (…)."

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Avec l'évolution des technologies d'information et de communication, l'autre grand changement est que les services sont en train de devenir une plus grande part de la valeur totale, même pour de nombreux produits qui sont vendus comme marchandises physiques. Loungani et Mishra citent le mantra de la Silicon Valley : "le logiciel représente 70 % du matériel". (…) Certains auteurs utilisent un néologisme vraiment laid lorsqu’ils qualifient ce changement de "servicisation de l’industrie".

Cet argument est souvent formulé avec le schéma du "sourire" de la création de valeur, dont le gourou de la gestion Ram Mudambi est présenté comme en étant le concepteur. Il suggère que les entreprises vont décider de placer leurs chaînes de production à l'intérieur des pays et entre ces derniers en fonction du montant de la valeur qui est créée aux différentes étapes de la production. Mudambi affirme que pour un bien manufacturé moderne, beaucoup de la valeur ajoutée du produit final est créée dans les premiers étapes (recherche-développement et conception) et dans les dernières étapes (marketing, logistique et service après-vente).

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Comme le commerce mondial se concentre de plus en plus dans les services, je pense qu'il va commencer à changer nos façons de penser le commerce international. Les chaînes de valeur mondiales dans les services sont rendues possibles par les technologies d'information et non par les ports, avions, trains et autoroutes. Le commerce des services est capable de changer très rapidement : après tout, si une entreprise achète un service qui sera fourni en ligne, il peut avoir une préférence pour le lieu géographique où ce service est réalisé. Comme les capacités des technologies d'information s’accroissent et que la vitesse, la clarté et l'immédiateté des connexions en ligne s’approfondissent, je soupçonne que de nombreux types de production vont finir par être divisés et subdivisés entre les lieux d’une manière que nous commençons à peine d’imaginer.

Et finalement, je m'attends à ce que la croissance du commerce des services réduise les pressions en faveur du protectionnisme. Au lieu de parler de l’hypothétique commerce d’hypothétiques biens achevés (comme les voitures et les ordinateurs), il est clair que des parties de la valeur ajoutée seront souvent créées dans des lieux différents. Appeler au protectionnisme commercial à l’encontre de certains produits fabriqués dans d'autres pays comme les voitures, l’acier ou les téléviseurs est une chose, mais je ne suis pas sûr qu’un mouvement protectionniste similaire puisse aussi facilement empêcher les services de traverser les frontières. En outre, les pays doivent éviter d’instaurer des droits de douane ou autres restrictions sur les importations, car de nombreuses importations font partie d'une chaîne de production mondiale et les producteurs domestiques ne manqueront pas de souligner que l'inhibition de leur accès aux connexions mondiales va nuire à l’économie nationale.

Timothy Taylor, « Trade in services begins to blossom », in Conversable Economist (blog), 18 juin 2014. Traduit par Martin Anota

mercredi 4 juin 2014

Aux Etats-Unis, la production augmente, mais pas le nombre d’heures travaillées

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« Voici un aperçu de l’évolution de l’économie américaine au cours des 15 dernières années : un nombre identique d’heures travaillées en 1998 et en 2013, même si la population a augmenté de plus de 40 millions de personnes, tandis que la production s’est accrue de 42 %. Shawn Sprague explique dans son article "What can labor productivity tell us about the U.S. economy?" publié dans la lettre Beyond the Numbers du Bureau des Statistiques du Travail en mai 2014.

Spragne écrit que "les travailleurs (…) aux Etats-Unis travaillèrent virtuellement le même nombre d’heures en 2013 qu’ils en ont travaillé en 1998, soit environ 194 milliards d’heurs travaillées. Cela signifie qu’il n’y a eu finalement aucune croissance du tout du nombre d’heures travaillées au cours de cette période de 15 ans, malgré le fait que la population américaine atteint plus de 40 millions de personnes durant ce temps et malgré le fait que la population américaine gagné plus de 40 millions de personnes durant cette période et malgré le fait qu’il y eut des milliers de nouvelles entreprises établies durant cette période. Et étant donné ce manque de croissance dans les heures travaillées, c’est peut-être même encore plus frappant que les entreprises américaines réussirent à accroître leur production de 42 % (soit de 3,5 milliers de milliards) en 2013 par rapport à 1998, même après avoir ajusté pour l’inflation… On peut dire une chose de certaine : la totalité de cette croissance de la production doivent provenir d’autres sources productives que le nombre d’heures travaillées. Par exemple, les entreprises peuvent accroître la production en investissement dans des équipements plus rapides, en embauchant plus de travaillées très qualifiés et expérimentés et en réduisant le gâchis en matériel ou les temps morts. Dans ces cas, comme dans d’autres, la production peut s’accroître sans que s’accroisse le nombre d’heures travaillées. De tels gains de production relèvent d’une croissance de la productivité du travail sur la période."

On peut dire beaucoup de choses à propos de ces dynamiques. Bien sûr, les années de comparaison sont un peu injustes, puisqu’en 1998 la bulle internet était proche de son pic, avec un taux de chômage de 4,5 %, tandis que 2013 s’inscrit dans la reprise lente de la Grande Récession. La proportion d’adultes américains qui ont emploi ou qui en cherchent un (le taux d’activité) a décliné pour plusieurs raison : par exemple, avec le vieillissement de la population, plus d’adultes arrivent à la retraite, une plus large part de jeunes adultes poursuivent leurs études et ne travaillent donc pas immédiatement, une hausse de la part des travailleurs recevant des prestations d’invalidité et le manque d’emplois bien payés pour les travailleurs peu qualifiés.

GRAPHIQUE Productivité, production et heures travaillées (en indices base 100 quatrième trimestre 2006)

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Voici un graphique montrant les dynamiques des heures travaillées, de la production et de la productivité suite à la Grande Récession. Sprague explique : « lorsque la récession commença, la productivité a stagné, puisque la production et les heures ont chuté de concert. La production et les heures continuèrent à diminuer jusqu’à la dernière partie de la récession, puis la production cessa de diminuer, tandis que les heures travaillées ont continué à diminuer. Durant cette période, il y eut une forte croissance de la productivité : du quatrième trimestre 2008 au quatrième trimestre 2009, la croissance de la productivité s’est élevée à 5,6 %. En fait, ce fut le taux sur quatre trimestres le plus élevé que l’on ait enregistré depuis plus de 35 ans.

GRAPHIQUE Taux de croissance annuels moyens de la productivité du travail aux Etats-Unis (en %)

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Voici un graphique montrant les taux de croissance de la productivité après la Seconde Guerre mondiale. Notons que les taux de croissance annuelle de la productivité furent très entre 1947 et 1973 en atteignant en moyenne 3,2 %. Il y a eu ensuite un fort ralentissement de la croissance de la productivité dans les années soixante-dix et tandis que des taux plus élevés ont suivi dans les années quatre-vingt-dix et plus récemment, l’économie américaine n’est pas parvenue à renouer avec les taux de croissance de la productivité des années cinquante et soixante. Comme je l’ai régulièrement noté dans mes précédents billets (par exemple ici et ici), il n’y a pas d’autre question plus importante pour la santé à long terme de l’économie américaine que de savoir si elle peut maintenir un fort taux de croissance de la productivité. »

Timothy Taylor, « Hours worked, no change; Output, up 42% », 30 mai 2014. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « Les marchés du travail et la Grande Récession »

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